Un cycle autrefois vertueux s’effondre…

Panipat
Dans une fabrique de Panipat

Pendant des décennies, la poubelle a offert aux consommateurs des pays riches l’opportunité de se défaire de leurs vieux vêtements, sans trop culpabiliser.

Dans un cycle vertueux et profitable, un réseau mondial de commerçants rassemblerait ces vêtements, les classerait et les transporterait dans le monde entier pour les recycler, les porter à nouveau ou les transformer en torchons et en rembourrage.

Ce cycle existait… il est maintenant à l’arrêt !

Les tendances de la mode s’accélèrent, les nouveaux vêtements sont de moins en moins chers et les pays pauvres tournent le dos aux brocantes. Sans changements significatifs dans la façon dont les vêtements sont fabriqués et commercialisés, cela pourrait constituer un désastre environnemental en devenir.

Personne n’est plus attentif à ce changement que les quelque 200 entreprises qui œuvrent au recyclage des vêtements en fils et en couvertures à Panipat, en Inde. Située à 80 kms au nord de Delhi, la ville poussiéreuse de 450 000 habitants a été le plus grand recycleur de vêtements en laine au monde pendant au moins deux décennies, produisant ainsi des débouchés de 4 milliards de dollars.

Les usines de Panipat se spécialisent dans un tissu appelé « shoddy », fabriqué à partir de fils de qualité inférieure, recyclés à partir de vêtements en laine. Une grande partie de ce qu’ils produisent sert à fabriquer des couvertures bon marché pour les opérations de secours en cas de catastrophe. Et ce fût une bonne affaire puisque, à son apogée, au début des années 2010, les fabricants de Panipat pouvaient fabriquer jusque 100 000 couvertures par jour, ce qui représentait 90% du marché des couvertures de secours.

Au début des années 2000, cependant, les fabricants chinois ont commencé à utiliser des filatures modernes qui pouvaient produire nettement plus de couvertures par jour que Panipat, et dans une plus grande variété de couleurs. Ramesh Goyal, le directeur général de Ramesh Woollen Mills, a annoncé que la fabrication chinoise est devenue si efficace qu’une nouvelle couverture polaire ne coûte que 2,50 $ au détail, contre 2,00 $ pour une couverture recyclée. Cela a fait de la Chine le fabricant préféré de couvertures de secours dans le monde entier, ce qui a coûté à Panipat la plus grande partie de son marché d’exportation.

Alors Panipat change. Il y a cinq ans, personne en ville ne fabriquait de nouvelles couvertures en molleton. Alors qu’aujourd’hui, environ 50 filatures le font. Ramesh Woollen Mills a ajouté une ligne de fabrication chinoise en 2016, portant ainsi sa production de 7 000 à 12 000 kg par jour, dont les deux tiers sont en polaire. Les consommateurs apprécient la qualité, la variété et les délais de production rapides.

Mais ce qui est bon pour Panipat et ses clients est une mauvaise nouvelle pour les donateurs et l’environnement. Même si Panipat produisait de la camelote à son apogée, il ne pourrait probablement pas gérer le flot croissant de vêtements usagés entrant sur le marché à la recherche d’une seconde vie. Entre 2000 et 2015, la production mondiale de vêtements a doublé, tandis que le nombre moyen de port d’un vêtement avant son élimination a diminué de 36%. En Chine, il a diminué de 70%.

La montée de la « fast fashion » crée ainsi un scénario sombre : la marée des vêtements d’occasion ne cesse de croître alors même que les marchés qui les réemploient disparaissent. D’un point de vue environnemental, c’est un gros problème. Déjà, l’industrie textile génère plus d’émissions de gaz à effet de serre que tous les vols internationaux et les transports maritimes combinés; à mesure que les marchés du recyclage s’effondrent, sa contribution pourrait exploser.

La bonne nouvelle est que personne n’est plus incité à s’attaquer à ce problème que l’industrie elle-même. En augmentant les températures et en intensifiant les sécheresses, le changement climatique pourrait réduire considérablement les rendements de coton et ainsi rendre la production de vêtements moins prévisible et beaucoup plus coûteuse. Les dirigeants de l’industrie sont clairement concernés.

La question est que faire à ce sujet. Certaines marques, telles que Hennes & Mauritz AB (mieux connu sous le nom de H & M) et Patagonia Inc. expérimentent de nouvelles fibres fabriquées à partir de matériaux recyclés, ce qui pourrait aider la cause. Mais à plus long terme, l’industrie devra essayer de recentrer les consommateurs sur la durabilité et la qualité – et évidemment facturer en conséquence. Les moyens principaux pour le faire serait d’offrir des garanties sur les vêtements et de faire des étiquettes qui informent les consommateurs de la durée de vie estimée d’un produit. Pour assouvir la faim de la mode rapide, les marques pourraient également explorer les entreprises de location de mode basées sur abonnement – telles que le YCloset de Chine – ou d’autres modèles plus durables.

Aucune de ces options ne peut cependant remplacer Panipat et les autres villes d’usines qui transformaient autrefois les chiffons des riches en vêtements bon marché pour les pauvres. Mais, que cela plaise ou non, cette ère touche à sa fin. Le défi consiste maintenant à réunir un nouvel ensemble de solutions.

Traduit de l’anglais depuis Bloomberg.com